Aux tout débuts de l'ère spatiale, L. Spitzer faisait remarquer que la plupart des transitions de résonance des éléments les plus abondants dans les différents états d'ionisation susceptibles d'être rencontrés dans l'espace se trouvent dans la partie ultraviolette du spectre (figure 1) et qu'elles sont incomparablement plus sensibles que d'autres à de petites quantités de gaz.
Figure 1 : Densité de raies d'absorption spectrales par intervalle de 100 Å. Seules sont inclues les raies de résonance des éléments les plus abondants dans le milieu interstellaire.
Cependant, tous les spectrographes du Télescope Spatial Hubble (HST) et de son prédécesseur IUE arrêté en 1996, souffrent d'une infirmité majeure : ils sont pratiquement insensibles en-dessous de 1150 Å environ. Et pourtant, cette région du spectre jusqu'à la limite de Lyman à 912 Å recèle des potentialités scientifiques uniques. Elle contient entre autre les transitions cruciales nécéssaires à l'étude du deutérium dont l'importance cosmologique continue de susciter des passions. L'hydrogène moléculaire, le matériau de base pour la formation des étoiles et des planetes, possède aussi dans cette région ses transitions les plus fortes. C'est là encore que se situent les deux seules transitions accessibles de l'ion oxygène VI, meilleur traceur du gaz chaud injecté par les explosions de supernovae dans le halo galactique. L'exploration de ce domaine spectral extrêmement riche a été et reste un des grands enjeux de l'astronomie.
De 1972 à 1982, le satellite Copernicus avait jeté un premier regard dans cet ultraviolet lointain. Bien que limité à des étoiles relativement proches ou même seulement à quelques très brillantes qui permettaient des observations en-dessous de 1000 Å, ce regard a cependant revolutionné notre vision du milieu interstellaire diffus. Depuis Copernicus, seulement quatre instruments ont eu quelque sensibilité dans ce même domaine : Voyager, le Télescope Ultraviolet Hopkins (HUT) et ORFEUS dont les résolutions spectrales étaient bien plus faibles que celle de Copernicus, et IMAPS (the Interstellar Medium Absorption Profile Spectrograph) déjà embarqué deux fois sur la Navette Spatiale et capable de fournir un pouvoir de résolution R très grand (240.000) mais seulement sur des étoiles extrêmement brillantes. FUSE aura une surface effective dix fois plus grande que celle de Copernicus, un bruit de détecteur beaucoup plus faible et la capacité d'enregistrer simultanément tout l'intervalle spectral 905-1195 Å (Copernicus enregistrait le flux dans un seul élément de résolution à la fois) avec une résolution meilleure. En conséquence, FUSE aura une sensibilité effective plus de 10.000 fois celle de Copernicus. Avec un tel accroissement de capacité portant nos regards au-delà de notre Galaxie jusqu'aux quasars, des avancées majeures et de nouvelles découvertes sont attendues.
La technologie pour le domaine spectral de FUSE est nettement plus dificile qu'au-dessus de 1200 Å. Les réflectivités des systèmes optiques y sont généralement faibles et il est recommandé de minimiser leur nombre. Les matériaux ne réfléchissent les rayons UV lointains et X que pour des incidences d'autant plus rasantes que leur énergie augmente et donc la surface effective décroit rapidement avec l'énergie. Mais des progrès récents dans les revêtements de surface et la technologie holographique ont rendu possible l'utilisation d'un concept nouveau, complètement différent et bien plus compact avec seulement deux surfaces réfléchissantes : le miroir primaire et le réseau. Afin d'augmenter la surface collectrice et diminuer la taille requise pour le réseau, FUSE aura quatre miroirs primaires paraboliques à incidence normale, de 40 x 36 cm et de 2245 mm de focale, spatialement séparés (figure 2). Deux sont revêtus de carbure de silicium (SiC) qui offre une réflectivité de 32% à peu près constante sur toute la bande UV lointain, et deux d'aluminium plus fluorure de lithium (LiF) qui donnent une réflectivité environ deux fois meilleure que SiC au-dessus de 1030 Å environ.
Figure 2 : Le concept instrumental de FUSE. Quatre miroirs (deux revêtus de SiC et deux de Al+LiF) alimentent par l'intermédiaire de quatre systèmes de fentes d'entrée (FPA) quatre réseaux sur deux cercles de Rowland puis deux détecteurs.
Au foyer de chaque miroir peut être positionnée une des fentes d'entrée suivantes des quatre canaux du spectrographe :
- une fente de 1,25" x 20" (HIRS) assurant la résolution maximum même si l'image du télescope n'est pas bonne, avec une transmission de 65% ;
- une fente de 4" x 20" (MDRS) garantissant la plus grande surface effective possible, avec une transmission de 95% ;
- une fente carrée de 30" x 30" (LWRS) pour l'étude des objets étendus à plus faible résolution ;
- un trou d'environ 0,5" (PINH) pour les objets extrêmement brillants, avec une transmission de 10%, utilisé aussi pour l'alignement des spectrographes.
Pour les deux canaux LiF, la lumière qui n'entre pas dans les fentes est réfléchie vers des senseurs fins d'erreur pour assurer le guidage fin des observations à mieux que 0,5" (1 sigma). Avec un champ de 20' x 20', ils sont équipés de CCD pouvant détecter des étoiles de magnitude V=16 avec un rapport signal à bruit supérieur à 10 en 10 secondes d'intégration.
Une autre avancée technologique majeure de FUSE est concentrée dans les quatre réseaux. Montés sur un Cercle de Rowland de 1652 mm de diamètre (figure 2), ils ont été tracés holographiquement sur des substrats (27 x 27 cm) sphériques afin de corriger les aberrations du spectrographe. Deux sont recouverts de SiC et deux de LiF. Seule au monde capable de réaliser des réseaux d'une telle dimension à très haute densité de traits - 5767 (SiC) et 5350 (LiF) traits par mm - la firme française Jobin Yvon, soutenue par le CNES dans ses travaux de recherche, a donc été choisie par la NASA, ce qui vaut un retour à la France à hauteur de 5% du temps total d'observation. Les spectres issus des quatre canaux sont imagés sur deux détecteurs (figure 2) à galettes de microcanaux en comptage de photons (efficacité quantique de 40% à 1000 Å), courbées de façon à épouser le cercle de Rowland, avec un spectre SiC et LiF sur chacun de telle sorte que chaque détecteur couvre l'ensemble du domaine spectral avec quelque redondance. La résolution des détecteurs étant limitée à 15 microns (FWHM), les réseaux fournissent la dispersion de 1 Å/mm nécéssaire pour assurer un pouvoir de résolution spectrale très proche de 30.000 sur toute la bande, avec cependant une lente et légère dégradation en dessous de 950 Å.
La figure 3 montre la surface effective de FUSE. Le pic d'efficacité se situe autour de 1050 Å. A titre d'exemple, FUSE sera capable - à cette longueur d'onde et à la plus haute résolution - de faire le spectre UV lointain d'une étoile B0V (corps noir) non rougie de magnitude V=16 en 16.000 secondes environ (soit 8 orbites plus une d'acquisition) avec un rapport signal à bruit de 10. Mais avec un rougissement E(B-V)=0,5, le même spectre ne sera atteint dans le même temps que pour une étoile d'environ V=10. Pour l'instant, à titre conservatoire pour ne pas endommager les détecteurs, des sources plus brillantes que 6,5.10-11 ergs/s/cm2/Å ne seront pas observables.
Figure 3 : Surface effective prédite pour le début de la vie de FUSE en fonction de la longueur d'onde (pour quatre canaux). Les discontinuités sont dues aux transitions entre les revêtements et les détecteurs.
FUSE a été mis en orbite le 24 juin 1999 par une fusée Delta II depuis Cap Canaveral. Avec une altitude de 800 km et une période de 101 min, il est prévu un temps total de collection de photons de 3,3.107 secondes pour une mission initiale de trois ans (ce qui correspond à une efficacité de 35%, comparable à celle du HST). La station de réception au sol sera à Porto Rico. Warren Moos, le PI américain, assume la responsabilité de l'ensemble du projet avec toutes les infrastructures nécéssaires disponibles au Centre pour les Sciences Astrophysiques de l'Université Johns Hopkins de Baltimore (USA). C'est aussi dans les bâtiments de cette Université que se trouve le centre de contrôle du satellite. L'Université de Berkeley réalise le système de détection et l'Université du Colorado le spectrographe. Par l'intermédiaire du CNES, la France a donc fabriqué et testé les réseaux (le contrat a été rempli en avance et avec des spécifications meilleures que prévues !), de même que le Canada par l'intermédiaire de son agence spatiale a fourni le senseur fin d'erreur du télescope. France et Canada reçoivent également 5% du temps total d'observation.
Au niveau français, le co-PI est A.Vidal-Madjar (IAP). Les tests des réseaux ont été effectués au LAS de Marseille sous la responsabilité de C. Gry. A. Vidal-Madjar et R. Malina, directeur du LAS, sont membres de l'Equipe Scientifique américaine du projet FUSE. En outre, l'équipe française de FUSE est constituée à Marseille de J.M. Deharveng, M. Deleuil et V. Le Brun, et à Paris de R. Ferlet, G. Hébrard, A. Lecavelier et M. Lemoine. Elle a décidé d'ouvrir FUSE à la communauté française à hauteur de 3% du temps total (60% du temps français), soit 450 orbites sur trois ans dont une centaine la première année d'observation (c'est un minimum car le chiffre final dépendra d'un comite d'attribution du temps qui effectuera la revue des demandes; il y siègera au moins un membre français). L'appel d'offre pour cette première année (moins les deux premiers mois réservés au commissionnement du satellite) est sorti le 9 février 1998. Il comprend en particulier la liste des observations entrant dans le temps garanti et de ce fait protégées. Dans tous les cas, les données tomberont dans le domaine public six mois seulement après leur prise.
Avec son équipe scientifique, le PI américain a défini pour la mission un certain nombre d'objectifs scientifiques. Pour les atteindre, 40% du temps d'observation de FUSE sont à sa disposition. Plusieurs programmes clés ont ainsi été sélectionnés. Les deux plus lourds en terme du nombre d'orbites sont l'évaluation de l'abondance du deutérium dans tous les sites possibles et l'étude de la phase coronale (O VI) du milieu interstellaire et du halo. Mais il y en a d'autres, notamment sur l'hydrogène moléculaire, différents types d'étoiles, objets à disques d'accrétion, restes de supernovae etc. FUSE effectuera le lien entre le nouveau spectrographe STIS qui a été mis au foyer du HST en février 1997 et le satellite également en activité EUVE dont la coupure haute est à environ 750 Å (entre 750 et 912 Å, les quantités énormes d'hydrogène interstellaire rendent le plus souvent impossibles toutes observations sauf vers quelques objets extrêmement proches). FUSE représentera en fait la dernière possibilité avant longtemps d'observation dans la bande UV lointain.