Le texte ci-dessous a été rédigé suite à la requête faite par un internaute me demandant mon sentiment sur la pertinence des travaux effectués en cosmologie par Jean-Pierre Petit. 


Il ne s'agit pas de s'attaquer à la personne Jean-Pierre Petit, mais uniquement d'expliquer pourquoi l'intérêt de ces travaux est très faible, comme en témoigne l'absence quasi-totale de citations de ceux-ci dans la littérature scientifique (voir ici). Une version plus détaillée de cette analyse sera mise en ligne prochainement.



Je me suis procuré un des articles « fondateurs » du modèle d'univers jumeaux de Jean-Pierre Petit (JPP), publié en 1995 dans Astrophysics and Space Science. Il y a un autre article publié par lui à la même époque dans Il Nuovo Cimento, que je n'ai pas encore eu sous les yeux. Il est probable que JPP ait eu d'autres choses publiées sur le sujet, cependant l'article que j'ai sous les yeux me paraît largement suffisant pour pouvoir émettre des commentaires d'ordre général dont les conclusions sont résumées à la fin de ce message.

Le modèle de JPP repose sur l'idée (probablement justifiée dans l'autre article mentionné) que nous vivons dans un univers à courbure positive, c'est-à-dire qui est une sorte d'équivalent de la sphère que nous connaissons, mais avec une dimension de plus (difficilement représentable, donc). Comme sur une sphère ordinaire, l'on revient à son point de départ si l'on va en « ligne droite » (si l'on suit une géodésique, devrait-on plutôt dire, mais peu importe), et à tout point l'on peut associer un point antipodal, c'est-à-dire le point le plus éloigné de celui où l'on se trouve. L'idée de JPP est semble-t-il de supposer qu'il existe deux formes de matière dans l'univers, la matière ordinaire et la matière « gémellaire », qui possède la propriété exotique d'exercer une gravitation répulsive sur la matière ordinaire (un peu comme deux charges électriques de même signe qui se repoussent). Ces deux formes de matière peuvent coexister, et ne subissent que l'influence gravitationnelle l'une de l'autre. En fait, et c'est sans doute la raison de supposer que la courbure est positive, on ne sent pas l'influence de la matière gémellaire située au point où nous nous trouvons, mais celle de la matière se trouvant au point antipodal. Encore une fois, je ne sais pas quelle justification l'on peut apporter à ce genre d'affirmation.

JPP suppose ensuite que l'univers est homogène et isotrope, et qu'il y a autant de matière gémellaire que de matière ordinaire (ou que la matière gémellaire s'identifie à la portion de matière ordinaire du point antipodal ; ce n'est pas 100% clair, mais cela ne change rien au problème). Résultat des courses, la densité effective du milieu étant égale (d'après JPP) à la densité de la matière ordinaire moins celle de la matière gémellaire, elle est nulle (X - X = 0, donc). La motivation de tout cela semble résider dans le souhait de JPP de produire facilement la répartition de la matière dans l'univers, qui a une structure quelque peu « spongieuse », avec des bulles relativement vides, à l'intersection desquelle on a des surdensités (la surface des bulles), aux intersections desquelles on a des filaments de matière nettement plus marqués, les grosses structures (super amas) étant (schématiquement !) aux intersections des filaments.

Il y a là un premier problème, que l'on pardonnera à JPP : les simulations numériques, considérablement plus évoluées qu'il y a dix ans (date de l'article en question), permettent de reproduire les observations de cette répartition spongieuse de la matière dans l'univers. J'ignore quel était l'état de l'art à l'époque, mais je veux bien croire qu'à l'époque on ne savait faire et que JPP ait souhaité proposer un truc radicalement nouveau pour voir si cela pouvait expliquer plus simplement cette répartition qui d'après ses dires restait un problème ouvert à l'époque. Car le fait est que JPP affirme que son modèle (qui ne correspond par forcément à ce que je viens de décrire, mais peu importe, cf plus bas) permet d'expliquer cette répartition spongieuse. J'avoue ne pas suivre son raisonnement. Apparemment il affirme que selon laquelle de la matière ordinaire ou de la matière gémellaire domine localement, l'un doit former des grumeaux, l'autre des bulles. En pratique, ces deux configurations sont assez éloignées de ce que l'on observe, même qualitativement (les grumeaux forment un réseau semble-t-il assez régulier, les bulles ne forment pas vraiment d'amas aux points d'intersection).

Là où les choses se compliquent sérieusement c'est quand par exemple JPP affirme que son mécanisme cité plus haut (que je ne prétends pas avoir compris dans le détail, mais peu importe, je regarde surtout les calculs qui vont suivre) permet de se passer de l'inflation cosmique puisqu'il permet d'homogénéiser l'univers. Le problème c'est que cette affirmation se base sur des hypothèses très fortes sur la répartition « initiale » de la matière (qu'il suppose poissonienne, c'est-à-dire explicitement homogène à grande échelle). Si l'on suppose que l'on a des contrastes de densité importants sur des échelles supérieures au rayon de Hubble actuel, son truc ne marche pas du tout par exemple car l'homogénéisation ne peut se faire en un temps égal à l'âge de l'univers (quasiment par définition). Je trouve donc JPP soit assez filou de ne pas mentionner cela, soit extraordinairement naïf de croire que ses conditions initiales sont suffisamment génériques pour pouvoir être pertinentes pour résoudre le problème qu'il prétend résoudre (l'homogénéisation de l'univers). Rappelons qu'une des grandes forces de l'inflation est d'homogénéiser d'immenses régions de l'univers quelles que soient les conditions initiales (ou peu s'en faut) sur la répartition de matière au sortir de l'époque de Planck.

Après diverses digressions assez peu intéressantes, JPP s'attaque à des choses quantitatives : il résoud les équations de Friedmann pour son modèle. Il remarque (fort justement) que la densité effective de matière étant nulle, la seule solution autre que l'espace de Minkowski correspond à un facteur d'échelle qui croît linéairement avec le temps. Dans un tel modèle, JPP fait (justement) remarquer que la courbure spatiale est négative (c'est écrit noir sur blanc dans le texte). JPP a-t-il seulement remarqué que cela contredisait son hypothèse de départ (où elle est positive) ? Si oui, il est malhonnête, si non, il ne se rend pas compte que son modèle s'exclut de lui-même de façon assez irrémédiable, puisqu'un espace à courbure spatiale négative est infini, et qu'on n'a plus de relation entre un point et son image antipodale à laquelle il tient tant. D'une certaine façon, il suffit de remarquer cela pour ne pas à avoir lire la suite, tout en s'interrogeant tout de même sur l'extrême faiblesse du raisonnement proposé (le fait que la courbure spatiale est positive implique une denstité totale strictement positive, on sait cela depuis 1917, alors que de facto il est ici fait l'hypothèse qu'elle est nulle...).

Le second problème auquel s'attèle ensuite JPP, est de sauver les apparences, car la loi d'expansion trouvée ne correspond pas à ce qui est attendu (en t^\frac{2}{3}, voir ici). Là, il fait un ensemble de manipulations bizarres et affreusement mal décrites pour expliquer que en fait, le temps ainsi mesuré n'est pas le vrai temps indiqué par une horloge en raison d'une hypothétique « variation des constantes fondamentales », dont la seule raison d'être est de sauver un modèle qui est de toute façon complètement bancal. Ce passage fait beaucoup penser à de l'analyse dimensionnelle de base, quoique, chose curieuse de la part de quelqu'un qui a travaillé en mécanique des fluides, le terme d'analyse dimensionnelle ne me paraît pas être mentionné dans cet article.

JPP réécrit donc quelques équations de la physique (équation de Schrödinger, équation de Boltzmann), et essaie de voir comment changer les unités de longeur de temps et de masse pour les retrouver après ces changements d'échelle. On note au passage que l'équation de Schrödinger est mal écrite (un h^2 s'est glissé en lieu et place d'un \hbar^2, ça fait désordre !), et qu'en redéfinissant son étalon de longueur \tau = t /
T, JPP oublie qu'il suppose ensuite que son étalon de durée, qu'il note T varie au cours du temps, et que donc on n'a pas comme il dit {\rm d} t = T {\rm d} \tau, mais {\rm d} t = T {\rm d}
\tau + \frac{\partial \ln T}{\partial \ln t} {\rm d} t, qui invalide la plupart de ses calculs. Après le coup de l'erreur (basique) sur la courbure, il est clair qu'il n'y a plus grand chose à espérer du modèle. Ajoutons que JPP est obligé d'ajouter à la main la bonne variation de ses étalons d'unité pour retrouver les résultats attendus, et que la présence avérée d'énergie noire nécessite aujourd'hui une variation temporelle de ceux-ci extraordinairement plus ad hoc encore pour que cela marche.

Ajoutons l'absence de résultats quantitatifs testables, une non discussion sur le comportement de ces étalons dans un régime (l'époque de la nucléosynthèse primordiale) où ils devraient encore changer de façon ad hoc (mais différente !) dans son modèle pour coller aux observations, et la liste est loin d'être complète. Par exemple, il trouve que l'entropie d'un volume comobile n'est pas conservée, ce qui est assez curieux car d'habitude l'identité de Bianchi et l'homogénéité imposent qu'elle est conservée. Il apparaît en tout cas qu'il y a une erreur quand JPP écrit les équations d'Einstein car il oublie un facteur c2 quelque part, et que oublier un tel facteur quand on pond une théorie où c (la vitesse de la lumière) varie, c'est l'assurance que l'on oublie un terme supplémentaire dans les équations d'Einstein (la même erreur que João Magueijo dans sa théorie de la vitesse de la lumière variable, qui est fausse de A à Z à cause de cela)...

Pour conclure :



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Dernière modification le 18 décembre 2006