LE QUOTIDIEN

Fuse, un œil sur le big-bang

Le télescope part chercher le deutérium, élément mystère des débuts de l'Univers.

Par SYLVESTRE HUET

Le mardi 22 juin 1999

 


DR
Demain, une fusée Delta-II doit s'envoler de Floride pour satelliser le télescope américano-français.
L'escamotage cosmique s'est fait en quelques centaines de secondes. «Dans les trois premières minutes de l'Univers», précise Alfred Vidal-Madjar, de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP). Un tour de passe-passe à l'origine du «mystère du deutérium». Les astrophysiciens ont décidé de le percer à l'aide d'un télescope spatial spécialisé dans l'ultraviolet, Fuse - pour Far Ultraviolet Spectroscopic Explorer -, qui doit s'envoler demain de cap Canaveral.

Le mystère s'est noué lors du big-bang. A l'époque, il y a environ 15 milliards d'années, se sont formés les premiers noyaux atomiques de l'Univers. La plupart, près de 90 %, ont fait les choses simplement, un proton unique pour donner un atome d'hydrogène. Mais le proton s'unissait parfois à un neutron pour former un deutérium. Un mariage sans avenir, puisqu'il entraînait aussitôt une autre union, avec un second deutérium, pour former un atome d'hélium - deux protons et deux neutrons - élément qui constitue près de 10 % des atomes du cosmos primordial.

Il ne devrait donc plus subsister de deutérium dans l'Univers puisque celui qui se forme dans les étoiles est immédiatement recyclé en hélium. «Pourtant, il y en a», assure Alfred Vidal-Madjar. Durant ces trois premières minutes, l'expansion de l'Univers a dilué la matière, et quelques rares atomes de deutérium ont survécu au massacre parce qu'ils ne sont plus entrés en contact avec un autre atome. Combien? «Les rares mesures existantes (1) donnent entre 1 deutérium pour 100 000 hydrogènes et 1 pour 10 000.»

«On cherche à mesurer le deutérium dans des nuages de gaz calmes, là où les étoiles n'ont pas trop changé la composition chimique du cosmos.» Dans ces petits coins tranquilles, le deutérium survivant est en effet un témoin direct de la vitesse de dilution de la matière, donc de la vitesse d'expansion de l'Univers et de sa densité de matière au moment du big-bang. Mesurer avec précision sa teneur, c'est donc pénétrer les secrets les plus intimes du cosmos, obtenir des informations sur son explosion primordiale ou son destin, déterminé par la quantité de matière qu'il contient.

L'idée d'un tel télescope, Alfred Vidal-Madjar l'a proposée il y a vingt-cinq ans! Abandonnée par l'Agence spatiale européenne, elle est reprise, il y a quelques années, par la Nasa. L'équipe française a «été sauvée par un industriel de Longjumeau», assure l'astrophysicien. La société Jobin-Yvon, a en effet battu son concurrent américain pour la réalisation du réseau de diffraction, une pièce décisive du télescope. Financé par le Cnes, cet instrument garantit aux astrophysiciens de Meudon, de Marseille et de l'IAP au moins 5 % du temps d'observation de Fuse et la participation à l'analyse des données principales. De quoi, «d'ici à deux ans», dissiper le mystère. Mais également obtenir une masse inédite d'informations sur la composition chimique et les mouvements des gaz de la Voie lactée. «Fuse peut pratiquement tout identifier: azote, oxygène, carbone...» Il pourra traquer l'hydrogène moléculaire, formé de deux atomes d'hydrogène, pratiquement invisible mais qui pourrait représenter une part importante de la «masse cachée» tant recherchée par les astronomes. Etudier les résidus de gaz et de poussières qui pourraient témoigner de la guerre des mondes - les chocs entre comètes, astéroïdes et bébés planètes dans des systèmes solaires en formation autour de jeunes étoiles. Un programme que Fuse, un engin de 1,3 tonne qui a coûté 200 millions de dollars, doit mener en trois ans, à 770 km d'altitude.

(1) En 1997, par le Keck Telescope et le télescope spatial Hubble.


[semaine]

[quotidien]

©Libération