Les 400 coups d'un bébé soleil
L'activité intense de Bêta Pictoris préfigure un système solaire.

Par SYLVESTRE HUET

Le jeudi 16 août 2001

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On discerne dans cette nurserie cosmique les traces de la «guerre des mondes» censée accompagner l'enfantement des planètes.
 

ÇUn bombardement intense, plusieurs centaines de comètes par an.» Cette «guerre des mondes» dont parle Roger Ferlet, de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP) au CNRS, se déroule aujourd'hui, autour d'une étoile fameuse baptisée Bêta Pictoris. Eloignée de 63 années-lumière seulement, c'est une voisine, de surcroît semblable à notre Soleil, juste un peu plus massive et plus chaude. Située dans la constellation du Peintre, visible à l'oeil nu de l'hémisphère Sud, elle accède à la célébrité au milieu des années 1980, lorsque des astrophysiciens s'aperçoivent qu'elle est entourée d'un disque de gaz et de poussières.

Collisions. Agée de 20 millions d'années seulement, Bêta Pictoris permet d'étudier la prime enfance d'un système solaire. Autour du bébé étoile, encore enfouies dans un disque de poussières et de gaz, on doit trouver de toutes jeunes planètes, gazeuses géantes comme Jupiter ou telluriques comme la Terre, les restes de leur formation, ainsi que des comètes et astéroïdes par millions. Mais les détecter est une rude affaire. Déjà, des astrophysiciens, en particulier l'équipe d'Alfred Vidal-Madjar à l'IAP, ont déniché la trace de comètes. Et plusieurs indices - des «trous dans le disque et une occultation de l'étoile» - qui plaident en faveur d'une planète gazeuse géante, comme Jupiter. Mais que se passe-t-il dans cette nurserie cosmique? Peut-on y discerner les traces de la «guerre des mondes» censée accompagner l'enfantement des planètes? Une période de quelques centaines de millions d'années où d'innombrables petits corps - comètes et astéroïdes - subissent des collisions monstrueuses. C'est ce qu'une équipe franco-américaine vient de faire (1), grâce à des observations réalisées avec deux télescopes spatiaux: Hubble, qui capte la lumière visible et l'ultraviolet «doux», et Fuse (2), un télescope franco-américano-canadien, lancé en 1999, qui traque le rayonnement ultraviolet «dur».

C'est en croisant les informations fournies par les deux télescopes que les astrophysiciens ont mis le doigt sur un indice trahissant «l'intense bombardement». «Surtout l'abondance, énorme, de monoxyde de carbone, le CO», explique Roger Ferlet. Cette molécule se retrouve piégée sous forme de glace à l'intérieur des comètes. En revanche, à l'état de gaz diffus, elle ne peut subsister plus de mille ans, dissociée en oxygène et carbone par les rayons UV dont la jeune star inonde son environnement. Des observations antérieures avaient certes permis de soupçonner la présence de CO dans le disque de l'étoile. Mais Fuse a permis d'en calculer l'abondance. Elevée, elle ne peut s'expliquer que par une «alimentation» permanente du disque en oxyde de carbone.

Bombardement. Pour Roger Ferlet, la seule explication possible réside dans «la destruction régulière d'un grand nombre de petits corps, comètes et astéroïdes, qui libèrent alors le gaz vu par Hubble et Fuse. Une destruction qui peut s'opérer lorsque les comètes s'approchent trop de l'étoile, mais également lorsqu'elles tombent sur des corps plus gros, les planètes que le système est supposé abriter. «Cette guerre des mondes originelle, on en voit la trace sur les corps de notre système solaire qui ont peu évolué depuis, comme la Lune, Mercure ou les gros astéroïdes», rappelle l'astrophysicien. Avec un réservoir qui pourrait compter des millions de comètes, le système de Bêta Pictoris n'est pas près de sortir de ce bombardement infernal. Si la vie doit y apparaître, il faudra attendre que le calme survienne, d'ici quelques centaines de millions d'années.

(1) Alain Lecavelier des Etangs et al., Nature du 16 août 2001. Les chercheurs sont de l'IAP, du laboratoire d'astronomie spatiale de Marseille et de l'Université John-Hopkins, à Baltimore (Etats-Unis).

(2) Far Ultraviolet Spectroscopic Explorer, le télescope spatial est financé par le Cnes, la Nasa et le Canada.

«Fuse» observe l'hélium du Big bang

Le télescope franco-américano-canadien a déniché des «gaz primordiaux».

Par SYLVESTRE HUET

Fuse a vu un très vieux gaz. Formé il y a environ 15 milliards d'années, un peu après le Big Bang. Lorsque l'Univers s'est un peu refroidi - autour d'une température moyenne de 3000 degrés -, les premiers atomes se sont formés, les plus simples. Un proton et un électron pour l'hydrogène, qui constitue environ les trois quarts de la matière ordinaire du cosmos. Deux protons, deux neutrons et deux électrons pour l'hélium qui en représente le quart, ne laissant que 3 % de la matière pour tous les autres éléments chimiques.

Jusqu'à présent, cet hélium primordial était resté caché. Alors que l'hydrogène primordial, lui, a été détecté, dispersé dans de vastes nuages de gaz intergalactiques baptisés «forêt Lyman Alpha», en référence au signal spectroscopique qui a permis de l'observer. Pour dénicher l'hélium, Fuse a braqué son télescope durant pas moins de vingt jours, en août et octobre 2000, sur un quasar, un objet très brillant situé aux confins de l'Univers, à plus de 10 milliards d'années-lumière. De cette longue pose, une équipe d'astrophysiciens américains (1) a extrait le signal très net de l'hélium primordial, dont la répartition le long de la ligne de visée du télescope correspond pour l'essentiel aux nuages d'hydrogène qui peuplent les immenses espaces séparant les galaxies et forment l'architecture générale de l'Univers. «La recherche de l'hélium primordial était l'un des objectifs majeurs de Fuse», souligne George Sonneborn, responsable du télescope pour la Nasa. Chaud et ionisé - il a perdu un électron -, cet hélium révèle également que, après sa formation, il a été agressé par d'intenses rayonnements, peut-être émis par les premières étoiles et par la matière chauffée à blanc autour des premiers trous noirs de l'Univers.

(1) Kriss et al, Science du 10 août 2001.


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